La première croisade jeta sur les routes de l'Orient,
à la suite du concile de Clermont, des milliers d'hommes, de
femmes et d'enfants de toutes conditions. Elle aboutit à la
prise de Jérusalem le 15 juillet 1099, et à la
création d'Etats latins en Terre sainte. Cette prodigieuse
aventure suscita de nombreuses chroniques. Celle de l'abbé
Guibert de Nogent, écrite vers 1108-1109, tranche par la
personnalité de son auteur. Ce n'est pas un
témoignage, mais le point de vue d'un partisan
passionné de la croisade, qui chercha à faire oeuvre
d'historien en prenant ses distances pour mieux comprendre les
événements, tout en comparant ses sources afin d'en
dégager la vérité, et en recueillant les
souvenirs de participants. A ses yeux, l'inspirateur et le chef de
l'expédition fut Dieu lui-même, dirigeant jusqu'au
bout les serviteurs qu'il s'était choisis. D'où le
titre, difficilement traduisible: Les hauts faits de Dieu par
l'intermédiaire des Francs. Sa prose mêlée de
vers, imprégnée de réminiscences bibliques,
prend souvent le ton de l'épopée. Il trace des
portraits parfois élogieux, souvent cruels, des principaux
acteurs. Doué d'un grand talent de conteur, il s'identifie
aux croisés dans leurs moments de joie et d'angoisse, dans
les famines comme dans les triomphes. Proclamant la gloire de ses
compatriotes avec la partialité d'un historien de son temps,
il apparaît dans ce texte comme l'un des meilleurs narrateurs
du Moyen Age latin.