La tendance dominante du christianisme durant des siècles
n'a pas été l'affirmation d'une puissance travaillant
à la transformation du monde et de l'histoire, mais
plutôt la disposition à s'en écarter et
à prendre ses distances, selon la doctrine du "mépris
du monde" (contemptus mundi). C'était en tout cas
l'orientation de la pensée monastique qui a traversé
tout le Moyen Âge.
Vers la fin de la première moitié du XIIe
siècle, un moine bénédictin de Cluny, que l'on
a appelé Bernard de Morlaix ou de Morlas ou Bernard le
Clunisien, et qui résidait au prieuré Saint-Denis de
Nogent-le-Rotrou, a écrit lui aussi un De
contemptu mundi. Cet immense poème en vers
métriques, est, malgré son titre, beaucoup plus que
l'expression habituelle du thème monastique de la
vanité du monde. Il contient une représentation
lumineuse du Ciel, Jérusalem céleste, Cité
resplendissante où Dieu est tout en tous, et une vision des
enfers, où les références à Virgile
semblent annoncer la grande épopée dramatique et
mystique de la Divine Comédie de Dante ; et c'est aussi une
longue complainte et une impitoyable satire contre les
désordres et les injustices de l'époque, satire
n'épargnant ni les prêtres, ni les
évêques, ni le pouvoir de Rome.