Ce volume retrace l’histoire complexe du raisonnement
topique, c’est-à-dire, à la suite
d’Aristote, du raisonnement qui part de prémisses
probables et non nécessaires, mais aussi de toute
argumentation gouvernée par ce que la tradition appelle les
lieux (topoi puis loci).
Qu’est qu’une argumentation crédible ?
Quelles sont les procédures qui peuvent évaluer la
cohérence et le bien-fondé d’arguments, et qui,
tout en prétendant être probants et aspirant
même à une certaine forme d’universalité,
ne peuvent pas compter sur des prémisses et sur des
dispositifs déductifs nécessaires ? Ces
questions ont été agitées depuis
l’Antiquité sous une double impulsion :
d’une part, la conviction que la déduction formelle
est le modèle idéal de l’argumentation
valide ; de l’autre, la reconnaissance du fait que
l’application de cette validité est très
restreinte, exigeant des conditions qui ne peuvent être
réunies que très rarement. Ainsi l’exigence
s’imposa de penser des modalités d’argumentation
crédibles et convaincantes, irréductibles à la
déduction « analytique » ou formelle,
mais ne se contentant pas pour autant avoir recours à la
manipulation des affects ou à des vagues effets de
vraisemblance, et pouvant produire certains types de
preuve.
La réflexion sur le statut de la preuve dans les
argumentations crédibles s’est toujours exercée
au sein de la tradition croisée de la logique
démonstrative, de la dialectique et de la rhétorique.
Son enjeu majeur a été de s’interroger sur les
présupposés, les dispositifs et les critères
de validité de ce que l’on peut appeler
l’inférence naturelle, à savoir la
chaîne argumentative que nous élaborons pour soutenir
ou pour réfuter une thèse, en apportant des preuves,
sans mobiliser des compétences ou des savoirs
spécifiques. Tout un chacun se trouve quotidiennement dans
la situation de défendre une thèse ou de la
réfuter dans des controverses, dont le but est de
l’emporter non par la violence, mais par l’obtention de
l’assentiment motivé de l’adversaire. Notre
projet a été donc déterminer les
modalités propres à ce type
d’argumentation.
L’ouvrage vise à examiner la matrice théorique
où ces questions ont été historiquement
formulées, à savoir la théorie du raisonnement
topique. Il examine d’abord la théorie
aristotélicienne et plusieurs théories
hellénistiques (néo-platonicienne et
stoïcienne), les développements originaux du monde
arabe, et l’œuvre de Cicéron. Ensuite, est
considérée la séquence qui prend Boèce
pour point de départ, et l’on suit le devenir de ces
problèmes tout au long du Moyen Âge puis de la
Renaissance, avec une percée jusqu’à Leibniz.
Un certain nombre de problèmes précis doivent
être suivis : qu’est-ce qu’un
« lieu » ? quel est le rapport entre le
lieu et la maxime ? quelle est la fonction de la maxime ?
comment à partir du lieu et de la maxime sont produits les
arguments ? Par là, les relations complexes entre
théorie du syllogisme en général,
théorie du syllogisme dialectique ou topique, théorie
des conséquences doivent être précisées
selon les auteurs, courants et périodes. Enfin, à
côté de ces travaux centrés sur les
théories logiques médiévales et renaissantes,
une partie des contributions doit s’interroge sur
l’usage des raisonnements topiques dans d’autres
disciplines : le droit, la théologie et la
médecine.