La loi islamique ou šaria, qui utilise le Coran et les
traditions prophétiques, est loin de se confondre avec ces
données primitives. Elle a peu a peu précisé
son vocabulaire, sa méthode, ses procédés de
raisonnement, pour donner lieu à une discipline autonome, le
fiqh. Cette science de la loi, impuissante à trouver une
expression unique, s’est codifiée dans plusieurs
écoles concurrentes ou rites (madahib) qui finirent, comme
on sait, par se réduire à quatre dans l’islam
sunnite. Quant à l’histoire du fiqh, elle comporte
bien des zones d’ombre. Fort obscure, en particulier, est la
période immédiatement antérieure à la
formation des écoles, qui commence avec le iiie
siècle de l’hégire (ixe
siècle de l’ère chrétienne). C’est
qu’en effet les documents historiques restent vagues ou
contradictoires sur les raisons qui incitèrent les
éponymes des rites, les imams réputés
fondateurs, à faire preuve d’originalité
créatrice. D’autre part, il semble hasardeux de
remonter, faute de sources directes ou irréprochables,
jusqu’à l’enseignement laissé par ces
personnages clés.
Sans conteste, le cas de Šafi'i (150-204/767-820),
troisième en date des quatre imams, se présente plus
favorablement à cet égard. De surcroît, il
aurait joué un rôle de pionnier, selon la tradition,
dans la théorisation du fiqh (usul al-fiqh). Or,
paradoxalement, une monographie d’ensemble n’avait pas
été écrite à ce jour sur cette
personnalité. La présente étude tente de
combler cette lacune. Dans une première étape, elle
s’emploie, sans esquiver les questions méthodologiques
préalables qui conditionnent une telle recherche, à
rassembler des matériaux sur le parcours intellectuel du
grand légiste mecquois. La seconde partie, qui confronte la
casuistique du maître avec ses principaux écrits
théoriques, dont sa fameuse Risala, permet de mesurer
l’apport réel de Šafi'i à la
théorie légale. Elle aboutit à remettre en
question un aspect de la reconstruction tentée
naguère, en fonction de certains a priori
méthodologiques, par Joseph Schacht dans ses Origins of the
Mohammadan Jurisprudence.
Mohyddin Yahia, docteur de l’E.P.H.E., enseigne, entre
autres, l’islamologie à la Dâr al-Hadîth
de Rabat. Ses recherches portent sur l’histoire du
šafi‘isme et la logique légale de
l’islam. Il collabore, au sein du Ministère des
Affaires religieuses du Maroc, à une édition critique
du Muwatta’ et contribue régulièrement aux
publications du Laboratoire d’étude des
monothéismes (UMR 8584).